Arnaque à Dakar 1995

 

   Je suis Routard au Sénégal : Ziguinchor, Soumbedioune, M'Bour, Joal,,,,etc. Super.
Un jour, je décide d'aller visiter le Nord, en particulier Saint Louis.
Je quitte Dakar et mon Hôtel du Marché. C'est un hôtel de passe, en plein centre ville, près du magnifique marché 1900 Kermel. Bon marché pour Dakar, cher pour le niveau des prestations. « Moyennement propre » dit très justement mon compagnon le guide du Routard. Et comment !
Je fais un petit coucou de départ aux charmantes créatures que je croise au coin de chaque couloir.
J'ai un sac à dos léger sur le dos et je pars d'un bon pas pour la gare routière, Avenue Malick-Sy, où je trouverai un taxi-brousse.
Au bout de 10 minutes, comme c'est la tradition à Dakar, j'ai mon poisson pilote à mes trousses. C'est un grand sénégalais, élégant, occidentalisé, genre intellectuel, sourire sympathique, s'exprimant très bien en français. Il s'appelle Omar.
« Vous allez bien ? »
« Oui »
« Vous êtes français ? »
« Bien sûr »
« Vous êtes touriste, vous aimez le Sénégal ? »
«  Oui, et j'aime »
« Vous avez visité Dakar ? Ca vous plaît ? »
« Oui. Oui »
« Et là, vous allez peut-être à la gare routière ? »
«  Vous avez deviné. Je compte partir pour Saint Louis. »
«  Ah bon. Moi aussi. Mais je ne pars que demain, Je suis musicien et j'ai un orchestre. Je vais faire un concert à la Maison de Lille sur l'île. Vous aimez la musique africaine ? »
«  Je n'aime que ça. Youssou N'Dour est vraiment un copain pour moi.  Mais je ne crache pas sur Alpha Blondy, Ismael Lo, l'albinos Salif Keita et bien d'autres » «  Ah alors il faut que vous veniez m'écouter à La Maison de Lille, Je vous ferai rentrer gratuitement »
Le radin qui est en moi se réveille et dit:
« Avec plaisir. Je vous remercie beaucoup. »
« Et vous avez prévu un logement à Saint Louis ? »
«  Pas encore. J'improviserai sur place avec le Guide du Routard.»
«  Si vous voulez, je peux parler à Gérard. C'est le Directeur de la Maison de Lille et mon ami. Si je le lui demande, il pourra vous donner gratuitement une chambre. »
La maison de Lille (sûr …....l'île) est un important centre culturel financé par la ville de Lille et le département du Pas de Calais.
« Ah bien sûr que ça m'intéresse »
« Bon, et bien à la gare routière, je vais téléphoner à Gérard et lui demander si c'est possible »
On continue la route en discutant de choses et d'autres . On arrive à la gare.
Mon nouvel ami me conduit dans l'endroit des Taxis-brousse et négocie l'achat du billet pour moi. Ce n'est vraiment pas cher. Le départ est dans une heure ou deux.
« On va aller téléphoner à Gérard »
« O,K, »
Il y a des boutiques de téléphonie sur le côté. La notre est tenue par une jeune fille qui nous regarde d'un drôle d'air, sans aucun sourire, ce qui m'étonne un peu. Omar me dit :
« On va se commander une soupe »
« O,K »
Il entre dans une cabine  téléphonique? Il discute assez longuement , sans doute avec Gérard. Il sort de la cabine.
« C'est O.K. avec Gérard pour le logement. »
Je paye les soupes et l'appel téléphonique à la tenancière toujours bougonne. Pas de problème.
Et bien jusqu'à présent, dans une totale innocence, je viens de vivre un moment de convivialité très sympa. C'est ça l'Afrique.
Je me prépare à quitter Omar en attendant de le retrouver chaleureusement le lendemain au concert de la Maison de Lille.
Or je sens tout à coup une espèce de gène entre nous. Omar n'a pas l'air de vouloir m'abandonner alors que l'heure du départ du Taxi-brousse approche. Il me colle. Il tergiverse. Il me paraît très contracté.
Il me fait tout à coup une demande insolite.
« Il faut que nous achetions un kg de thé spécial (dont j'ai oublié le nom aujourd'hui) pour le remettre à Gérard »
Il m'amène chez un marchand de ce genre de produit. Je comprends que c'est à moi qu'il revient de payer l'achat. La prudence me revient. La naïveté n'est pas ma spécialité. Mais difficile de refuser tellement nos liens d'amitié ont été si bien forgés depuis une heure.
Inflexible, je refuse tout de même.
Le regard si franc, si souriant, si sympathique d'Omar jusqu'à présent se transforme. Je vois désormais une grande détresse au fond de ses yeux.
Je monte dans le Taxi-brousse, le moteur se met en marche. Omar dit :
« Donnez-moi quelque chose pour que j'aille manger »
Je lui donne 3 sous.

Saint Louis est à 260 km. 4 à 5 heures de route. J'arrive à la gare routière de la ville.
En route pour la maison de Lille. Je franchis le magnifique pont Eiffel Faidherbe  de 500 mètres de long construit en 1897. Parait-il qu'il était prévu sur le Danube en Autriche-Hongrie et que l'on s'est trompé de destination pour l'envoi. Est-ce vraiment vrai ? J'en doute. Je tourne à 90 degrés à droite et m'enfonce dans « l'île » plein nord.
Un coup d'oeil à l'Hôtel de la Poste pour vérifier que Mermoz n'est pas visible à la fenêtre de sa chambre No 219. Non, il n'est pas là.

J'arrive à la Maison de Lille.
Je demande les bureaux du Directeur. J'y entre. Deux ou trois jeunes français du management directorial me reçoivent avec le sourire.
Je demande à parler à Gérard.
«Quel Gérard? »
«Le Directeur. »
«Il n'y a pas de Gérard ici.»
«Mais mon ami Omar m'a dit........»
Sous les regards narquois de mes compatriotes, complètement penaud, je raconte mon histoire fantastique. Ca fait rire tout le monde. Bien sûr, je suis très contrit. Un peu vexé d'étaler ma crédulité devant mon auditoire.
Mais au total?
Merci Omar. Omar, tu es un vrai ami. Je t'aime beaucoup.
Tu m'as donné une histoire invraisemblable à raconter tout le long de ma vie et notamment, maintenant, sur cette page.
Ca n'a pas de prix.