La mort de mon père

 

Cette histoire va être très triste.
Vous êtes averti.

Mois de février 1993.
Le téléphone sonne à la maison à Toulon. C'est pour moi.
"Oui, ici le docteur x (j'ai oublié son nom) de Tournefeuille près de Toulouse. C'est moi qui soigne votre père. Je suis désolé. Je dois vous annoncer des choses graves. Nous avons fait faire des examens à votre père qui établissent qu'il a une tumeur grave au cerveau que l'on ne peut ni soigner ni guérir."
Ouf.
"Et combien de temps pensez-vous qu'il lui reste à vivre?"
"Environ six mois"
"Que puis-je faire pour l'instant?"
"Rien. Son état va progressivement se dégrader. Vous verrez au fur à mesure de l'évolution"
"Mon père est-il au courant de ce qui lui arrive?"
"Non"
Le diagnostic se révélera juste et implacable.
Aux vacances scolaires de Pâques, Daniele et mois allons passer une quinzaine de jours à Tournefeuille. Nous nous occupons au mieux du malade. Il marche encore un peu mais difficilement. Il est le plus souvent alité dans sa chambre.
Deux dames s'occupent de lui pour les soins et la cuisine. L'une d'entre elle, assez jeune, est particulièrement gentille et prévenante. Je ne me souviens plus si le docteur l'a mise au courant de l'état du patient. De toute façon, elle a compris la réalité des choses. Du coup, visiblement elle souffre de la cruauté de la situation. C'est même trop difficile pour elle. De plus mon père est d'une extrême gentillesse avec elle comme il l'a été d'ailleurs avec tout le monde dans sa vie. Elle ne peut plus tenir le coup. Elle me dit qu'elle abandonne son travail car c'est trop dur pour elle. Elle nous donne l'adresse d'une autre personne de la ville qui pourrait remplir la tâche.
La nouvelle personne arrive le lendemain. Elle me parait effrontée et pas spécialement honnête. Elle me demande un sécateur, se précipite au jardin, y cueille quelques fleurs, trouve une vase, va installer le tout sur la table de chevet de mon père. Pourquoi pas?
Le lendemain, je ne sais plus pour quelle raison, on se sépare de la personne. Soit elle ne nous donne pas vraiment satisfaction, soit elle n'est plus disponible, soit on a trouvé une ancienne garde malade que l'on connaît davantage.
J'ai besoin du sécateur et je le cherche partout. A l'évidence la personne l'a emporté avec elle à son départ.

Retour à Toulon et reprise du travail.
Deux ou trois mois se passent. On doit être fin juin ou début juillet.
Bien sûr, l'état du malade a empiré.
Au téléphone, j'ai essayé de gérer la crise avec le docteur. J'ai proposé de transférer mon père à Toulon où je l'installerai dans une belle maison de retraite appartenant à Marie-Madeleine, une ancienne connaissance de Bridge, à Brunet.
Les choses simples sont souvent très compliquées. Il faut l'accord du docteur lequel va perdre son client et les revenus qui vont avec. Il faut convaincre le malade qui est particulièrement têtu et non enclin à supporter la décision prise par d'autres. C'est un crève coeur pour lui de quitter la grande maison de maître de Tournefeuille, un endroit où il est ......né en .....1906. C'est pourtant la seule solution raisonnable.
Finalement, j'arrive à mes fins. Tout le monde est d'accord.
Je pars en voiture à Toulouse. Je réunis un minimum "d'affaires". Je ferme la maison à double tour. Quelle tristesse. Je songe que mon père ne reverra plus jamais son habitation si chère à son coeur. Y pense-il lui aussi?
Je transporte le malade dans mes bras pour l'installer dans la voiture. Il semble admiratif que je puisse prendre une telle charge. Pourtant il n'a jamais été très gros et doit être encore plus léger actuellement.
On arrive à Toulon à la maison de retraite. Le malade est très fatigué.
Un médecin pratique un examen. Il est en trop mauvais état pour l'installer dans l'unité de retraite médicalisé comme prévu. Il faut l'installer directement dans l'unité clinique.
Ce sera mon ami Alain Macagno qui deviendra son médecin et le visitera à la clinique.
Une période d'environ deux mois va se dérouler jusqu'à la fin fatale marquée par quelques moments forts.
Disons tout d'abord que je suis plutôt fier de ma responsabilité et de ma conduite pendant cette épreuve.
Deux fois par jour, je me rends à la clinique au moment des deux repas où je donne à manger au malade tout en l'entretenant de choses et d'autres.
Bref, l'essentiel est que le malade ne soit pas abandonné. Cela jusque au bout sans aucune exception. Ma présence est quotidienne et fidèle.
Pour moi, c'est tout de même assez dur ce double passage quotidien qui est un devoir mais n'a rien de réjouissant.
C'est que, jour après jour, le déclin se confirme et que la situation est de plus en plus désolante ce qu'il faut cacher en faisant comme si de rien n'était.
Je veux ici rendre hommage à Daniele qui m'a bien aidé. Parfois, je suis atteint d'un certain découragement. Mon moral n'est pas au mieux. Daniele n'hésite pas à prendre le relais. Elle me remplace. C'est elle qui ira faire manger le malade. Je ressens alors comme une impression de vacances, de liberté retrouvé. Ce repos dans l'épreuve me fait un bien immense. Je pourrais repartir plus vaillant la prochaine fois.

Des épreuves dans l'épreuve se présentent.
Mon père a toujours eu besoin de femme pour "s'occuper" de lui et lui apporter leur affection. Ce fut bien sûr ma sainte mère qui remplît particulièrement cette fonction. Leur amour réciproque fut sans faille toute une vie. Aucune infidélité entre eux. Je suis persuadé d'ailleurs que pour l'un comme pour l'autre, les deux époux ne connurent bibliquement que leur conjoint de toute leur vie. Mais voilà que sur le tard ma mère fit une grave infidélité à son mari. Elle, que je n'avais jamais connue malade de sa vie, frappée d'un mal fatal, nous quitta 6 ans avant l'année dont je suis en train de parler.
Le désespoir de mon père fut entier.
Lorsque cela arriva, aux opérations de funérailles, dans la plus totale dignité tout de même, j'eus un petit accrochage avec lui. Il me semblait accaparer le total de la désolation qui nous frappait, n'en laissant aucune part aux autres proches principalement à moi même.
Je m'entends lui dire en rébellion:
"D'accord, c'est ta femme. Mais c'est tout de même aussi ma mère!!!!!!!!!!!!"
Ma mère disparue, Irma sa soeur (et ma marraine) prit un peu sa place.
Irma eut une vie quelque peu non académique.
Mariée très jeune avec un....armateur grec pour .......cause de grossesse, séparée peu de temps après, elle vécut toute la vie dans la maison de maître entretenue par sa mère et son demi frère. Il faut dire qu'elle était co-propriétaire du domaine agricole.
Les relations de la soeur et du frère furent toujours très fusionnelles. Irma remplaça donc ma mère dans la vie de mon père. Pendant six années.
Lors de la maladie dont je parle, Irma était allée faire un séjour à Paris chez sa fille Vella et elle devait revenir à Tournefeuille début juillet.
Un nouveau drame familial intervint.
Alors que mon père se trouvait à la clinique de Toulon, Irma revenue de Paris fut atteint d'une attaque cérébrale subite et perdit la vie au bout de quelque jours. Je crois que la cause en fut la connaissance du mal de son frère que l'on ne lui avait pas cachée ainsi que la prochaine disparition programmée. Son subconscient dut prendre la décision de la faire disparaître avant l'épreuve qui s'annonçait.
Tout ce long développement pour raconter qu'en fin juillet, lors d'une de mes visite à la clinique, j'entends mon père me dire "Et Irma, que devient-elle?" Il en était resté à la première nouvelle de son hospitalisation et on ne lui avait donné aucune information par la suite.
Que dire? Mentir? Comme sur l'issue de la maladie que l'on ne lui a jamais révélée. A quoi bon ? Difficile car il aurait sans doute réclamer de lui parler au téléphone. Je lui révèle la vérité.
"Et oui, elle n'a pas repris connaissance. Elle est morte"
Un monde supplémentaire s'écroule. Pas de paroles. Pas de plaintes. De lourdes larmes coulent sur le visage de mon père.
Ouf!!!!!!!!!

Autre moment pénible. Mon père avait toujours la nostalgie d'avoir quitté la maison de Tournefeuille. C'était pourtant inévitable.
Un jour à la clinique, il me demande à téléphoner à Josie. C'est ma belle soeur qui habite avec sa fille à Montauban, c'est à dire près de Toulouse. On l'appelle. je l'entends dire au téléphone:
"Oui, je ne suis pas bien ici. Je voudrais revenir à Tournefeuille".
Propos sans suite bien sûr. Mais on n'a pas besoin de ça pour compliquer la situation. De plus, j'entretiens des relations méfiantes et ambiguës avec Josie.

Les semaines passent à la clinique. La fin approche.
Un jour, mon père me regarde profondément dans les yeux et me dit: "Je voudrais me jeter par la fenêtre"
Ouf.!!
Je fais semblant de ne pas entendre. Que pourrai-je répondre?

J'ai omis de parler d'un élément du contexte ultra dramatique.
Voilà que le hasard a voulu que mes deux filles aient pris, il y a de nombreux mois, la décision de se marier en début septembre à quinze jours d'intervalle.
Je vous révèle tout de suite la tournure des choses. Mon père va décéder presque exactement au milieu de ces quinze jours.
Donc, la fin août approche. Séverine, future jeune mariée, arrive à Toulon toute feu et flamme. Elle avait un lien presque spécial avec son grand père qui avait été très gentil avec elle (Mais n'était-il pas gentil avec tout le monde? Si).
Elle demande tout de suite à aller à la clinique. La connaissant, je trouve que ce n'est pas forcément une bonne idée. Il serait peut-être nécessaire de la préparer à ce qu'elle va voir. Mais pourquoi pas.
Nous allons à la clinique. Embrassades. Amours partagées. Phrasologie banale. Grande tristesse. Enorme détresse.
Séverine revient décomposée et n'y remettra plus les pieds. Trop pénible pour elle. Je la comprends. Je ne lui en fait absolument pas le reproche.
Moi je continue mon devoir, jusqu'au bout, à aller deux fois par jour donner le repas. J'en suis très fier aujourd'hui.

Agathe se marie la première. Mariage civil à la mairie avec le maire Mr Trucy. Mariage religieux à l'église de . Grand repas au cercle des Officiers de Marine du Fort Saint Louis.

Revenons au malade.
Début septembre, je suis à la clinique en train de faire manger mon père. C'est de plus en plus difficile. Une aide soignante prend le relais. Tout coup, le malade s'étouffe. Un fausse route.
Les infirmières arrivent affolées. On m'écarte brutalement de la chambre. On m'explique que mon père doit être transporté à la clinique Saint Michel.
Le lendemain, je vois encore mon père dans le coma à Saint Michel.
Le soir il décède. C'est très bien ainsi. Il n'aura pas à se jeter par la fenêtre.
Le surlendemain, visite du corps à la morgue de St Michel en compagnie de Daniele et Séverine. On se sent très seul. Sev. glisse dans le cercueil une petite lettre d'adieu qu'elle a composée. Elle doit être toujours dans le cercueil à Tournefeuille.
Dans les jours qui suivent, grand Déplacement de tout le monde à Tournefeuille où le corps a été déplacé et où a lieu l'enterrement. Les beaux parents de Séverine ont eu le courage et la grande élégance de se déplacer jusqu'à Toulouse. Agathe nous a bien sûr rejoint.

Or, la Vie continue.
Une semaine plus tard arrive le mariage de Séverine. Le temps est magnifique. Mariage civil à la mairie avec le député Mr Colin. Mariage religieux dans la belle petite église de Belgencier pleine de monde.
Les jeunes mariés beaux comme des astres montent dans une Mercédes décapotable un peu ancienne conduite par une conductrice en chapeau bleu très sélect, élégante et belle. La super classe. C'est notre amie Sue Rowntree (Oui, Rowntree des gâteaux) qui est arrivée avec sa belle auto de Wimborne Dorset en Angleterre, invitée pour le mariage. Une procession de voitures prend le chemin de l'abbaye de Fonvrieux de Pibarot où aura lieu le diner. Des jeunes énarques et Essec arrivent de partout et dont on ne sait d'où pour la soirée dansante.
Un mariage super classe.
Oui, la vie se continue.