En 1950, le bacalauréat se déroule en 2 examens sur 2
années.
Il y a le 1er Bac que l'on passe en première avec un écrit
et un oral et avec la quasi totalité des matières.
Il y le 2ème Bac que l'on passe en Terminale. Il faut alors choisir
une des 3 spécialisations soit le Bac Math.élementaire,
soit le bac littéraire (Français/Philosophie), soit le
Bac Sciences Expérimentales(sciences naturelles). Le premier
est jugé le plus prestigieux.
Je passe le premier bac à Thouars, dans les Deux Sèvres,
au Collège de filles Tyndo. Il n'y a pas de Bac au collège
de garçons du "Chateau" dont la scolarité s'arrête
en troisième.
L'enseignement secondaire est très élitiste à cette
époque
Ainsi, en première, nous ne sommes que 6 dans la classe (3 garçons,
3 filles) pour une ville de 12.000 habitants.
Le taux de réussite ordinaire est d'environ 50%, peut-être
60%.
Et bien, nous serons reçus tous les 6 soit un succès de
100% rare à l'époque.
Pour l'anné suivante, il n'y a pas de second bac à Thouars.
Il faut aller au lycée de Niort à 80 km, le chef lieu
du département ou bien à Poitiers, le siège du
rectorat de la région académique, au prestigieux Lycée
Henri 4.
3 des 6 de notre classe se retrouvent à Poitiers. Il y a Nicole
S. logée dans l'internat du lycée de filles. Il y a Guy
R. mon ami et moi internes au lycée Henri 4.
Nous sommes près de 45 dans la classe Math Elem. dont une quinzaine
d'internes.
Pendant des années, mon père m'avait menacé de
me "mettre interne" pour me punir de ma soit disante mauvaise
conduite.
Ca y est, je suis interne par nécessité et je n'ai jamais
été aussi heureux, n'ayant plus la pesante et dictatoriale
emprise paternelle. La liberté. Chouette.
Un week end sur deux, nous rentrons en train dans nos familles avec
un changement à Parthenay.
C'est surtout pour moi l'occasion de retrouver ma grande chérie
J. Nous sommes très amoureux l'un de l'autre.
Une histoire cocasse. Un jour de départ, nous croyons reconnaître
sur le quai de la gare de Parthenay notre prof de Philo. Dans la pénombre,
on n'est pas sûr de l'identifier vraiment. Qu'est ce qu'il ferait
dans les Deux Sèvres, lui qui officie dans la Vienne?
C'est un prof. sans doute très calé mais très académique
et vraiment très barbant. Son nom, Mr Pucelle, alimente beaucoup
nos mauvaises plaisanteries de potache.
Pour s'assurer qu'il s'agit bien de lui, on ne trouve rien de plus stupide
que de l'interpeler, courageusement de loin, tout en essayant de nous
cacher derrière un poteau.
"Pucelle! Pucelle!"
Nous aura-t-il vu?
Qu'est-ce qu'on attend?
Qu'il vienne vers nous pour nous sauter au cou?
Heureusement, rien ne se passe.
Fin de cette stupide histoire.
Nous approchons maintenant de la Pentecote.
Une sale histoire, sans doute la pire de ma jeune vie d'alors, va m'arriver.
Parmi nos profs, il y a Mr Valensi qui nous enseigne les Sciences Nat.
Il n'est pas grand en taille et possède peu d'autorité
face à notre meute de garçons. Souvent il y a un grand
brouhaha dans la classe. Ca devient même insupportable pour tout
le monde.
Le dit Valensi a inventé une pratique pour assurer ce qu'il pense
être un minimum d'autorité. Il arrête de parler.
Il regarde fixement la classe. Il
recherche le responsable du chahut (un peu n'importe lequel). Il l'interpelle.
Pan, 3 heures de colle. Ca semble tomber du ciel. Une punition divine.
Le calme revient instantanément.
Et bien en ce mois de mai, un incident de ce genre se produit qui va
avoir des conséquences incalculables pour moi.
Un gand chahut est en cours. Valensi s'arrête de parler et scrute
la salle. Je ne suis certainement pas l'élève le plus
turbulent. Loin de là. Le comique de la scène me fait
innocemment esquisser un demi sourire narquois. Mais le hasard fait
que le professeur s'en aperçoit. Paf, 3 heures de colle pour
moi. L'injustice totale. C'est la première fois que j'attrape
une telle punition. Ce n'est pas très grave. Mais, cela signifie
que je suis privé de sortie le samedi. Or, l'internat est tout
de même une sorte de prison. Et nos sorties libres du samedi et
du dimanche sont nos grands moments de Liberté où nous
pouvons décompresser de nos fatigues scolaires.
Le samedi arrive. Je fais mes 3 heures de colle en étude.
Je ressors dans la cour où il y a beaucoup de déplacements
d'élèves de toutes sortes. La porte est grande ouverte.
Aucun contrôle n'est apparent pour la sortie. Je me mêle
au flot et sort du Lycée sans en avoir le droit. Une ou deux
heures de promenade dans la ville. Je rentre au bercail et par malchance
tombe sur un surveillant avec lequel j'avais eu un léger accrochage
quelques semaines plus tôt.
Le lendemain, je suis convoqué par les autorités. Je dois
passer devant le conseil de discipline. Le surveillant m'a intelligemment
dénoncé. Le conseil a lieu. Il y a Mr Pucelle parmi les
membres du conseil. Il se gardera bien d'intervenir.
Le proviseur me questionne. Il arbore les Palmes Académiques
au revers de sa veste. La honte vu ce qui va suivre.
"Comment êtes-vous sorti?"
"Par la porte"
"Personne ne vous a empêché?"
"Il n'y avait pas de contrôle"
"Vous savez que c'était interdit"
"Oui"
Une peine incroyable m'est infligée. Je suis privé de
la semaine de vacances de la Pentecote. Je resterai en prison dans l'internat
du Lycée. 8 jours de prison pour une vétille et une injustice.
Le sursis n'existe pas au lycée de Poitiers. la Honte.
Aujourd'hui, cela nous fait penser aux peines encourues dans les pays
les plus arriérés de notre globe. L'Arabie Saoudite, l'Iran
et bien d'autres.
Dans les années 1950, l'arbitraire des autorités, l'abus
du pouvoir à tous les niveaux étaient monnaie courante.
Et l'on pouvait distribuer les Palmes Académiques aux bons serviteurs.
De ces époques, j'ai acquis l'idée que la possession d'une
quelquonque décoration dont la "prestigieuse" Légion
d'Honneur est somme toute une marque d'infamie. Une honte pour son détenteur.
Une reconnaissance de platitude et de servitude.
Heureusement, 1968 est intervenu un peu plus tard et a sensiblement
démocratisé les liens sociaux.
Au Lycée, les internes de ma classe partagent mon écoeurement
et mon injustice. Ils me réconfortent chaleureusement. Ils m'écriront
tous, sans exception, pendant mon incarcération.
Pendant une semaine, je suis donc seul dans le grand Lycée. Pas
complêtement seul. Il y a un lycéen de ma classe qui est
aussi resté dans l'internat. C'est un Camerounais qui n'a pas
de famille en France. Bref 2 jeunes prisonniers dans cette énorme
batisse, ça fait tout drôle.
Très curieux, cette solitude dans un établissement totalement
désert que l'on connait d'ordinaire grouillant de multitudes.
Les lettres de mon adorée me réconforte un peu.
La rentrée scolaire intervient.
Voilà qu'au bout de quelques jours, je suis convoqué à
un nouveau conseil de discipline. Je tombe des nues. Pourquoi? On ne
m'explique pas très bien. Les autorités semblent être
dans l'embarras et quelque peu honteuses.
Je crois comprendre que les surveillants n'ont pas apprécié
ma version selon laquelle j'avais pu sortir du Lycée sans subir
de contrôle. C'était pourtant l'exacte vérité.
Ils demandent de nouvelles sanctions contre moi.
Je suis révolté.
Au réfectoire du soir, je manifeste ma volonté de rébellion.
Je nargue et conteste l'autorité des surveillants.
Les choses vont ensuite très vite. Je ne me souviens plus si
je passe devant un nouveau conseil de discipline.
Bref, mon père est convoqué par le Proviseur. Je suis
renvoyé du Lycée à un mois du Bac.
Je rentre chez moi à Thouars où je travaille tout seul
à mes révisions.
J'ai retrouvé ma chérie J.
Le difficile examen arrive et je repars à Poitiers pour le passer.
Je suis reçu.
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