Vie ordinaire pendant la guerre de 1940/1944 vécue par un enfant de 7 ans.

 

J'ai 7 ans en février 1940.
Le 10 mai, les troupes allemandes lancent leur offensive contre les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France.
La guerre est perdue en 6 semaines.
Le 16 juin, Paul Reynaud démissionne de la présidence du conseil et est remplacé par le maréchal Pétain.
Le 17 juin, Pétain annonce à la Radio : « C'est le coeur serré que je vous dis qu'il faut arrêter le combat. Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec moi, entre soldats, après la lutte et dans l'honneur les moyens de mettre un terme aux hostilités............... »
Dès le lendemain, le Général de Gaulle, depuis Londres, à la BBC, lance l'Appel du 18 Juin :
« A tous les Français
La France a perdu une bataille mais la France n'a pas perdu la guerre. Des gouvernements de rencontre ont pu capituler....... »
L'armistice est signé le 22 juin à Rothondes dans la forêt de Compiègne.

Mes parents habitent Thouars dans les Deux-Sèvres avec leurs deux enfants. Thouars, c'est la France profonde.
Chaque année, vers le 1er juillet, toute notre famille « descend » en train dans le midi à Tournefeuille, banlieue de Toulouse, pays de mon père et à Ax-les-Thermes Ariège, pays de ma mère, pour y passer 2 mois de vacances.
Cette année, la guerre ne va pas nous faire déroger à la règle.
Mais sans doute que le système ferroviaire est désorganisé car c'est notre oncle Henri qui travaille à Paris comme Inspecteur des impôts et sa femme tante Marguerite, institutrice, lesquels, quittant leur résidence de Paris pour se rendre à Ax-les-Thermes, font le détour par Thouars pour nous prendre en voiture et nous voiturer avec eux.
Premier souvenir de guerre pour moi : Nous vivons l'Exode.
Nervosité dans l'air et dans les propos des parents. Nombreux convois de voitures, charrettes et autres sur les routes. Course pour trouver de l'essence qui s'épuise dans les pompes.
Pourvu qu'il n'y ait pas de bombardement sur les routes. Il n'y en aura pas.
Recherche de lait pour le biberon de mon frère Michel qui a........6 mois. Il n'y a pas encore de pénurie de ce côté la.
Escale à Brantome où l'oncle Henri a une maison de famille.
Le lendemain, toujours des difficultés pour trouver de l'essence.
On arrive tout de même à bon port.
Vacances paisibles dans le midi Pyrénéen. La soldatesque allemande est très loin.

Le 1er septembre, la famille doit revenir à Thouars pour le travail des parents. La situation politique a bien changé.
La France est divisée en deux. La zone occupée au nord et la zone dite « libre » au Sud. Les Deux-Sèvres sont dans la zone occupée.
Nous repartons en train. Nous arrivons à Langon, pas très loin de Périgueux. C'est la ville « frontière » de la Ligne de Démarcation. Quelle dénomination barbare !
Descente du train. Contrôle des identités et du laisser passer obtenu avant le départ sur justification de la domiciliation au nord.
Pour la 1ère fois, je vois des soldats allemands en uniforme vert de gris qui dirigent les manœuvres. C'est mon second souvenir de guerre.

A Thouars, nous vivons l'occupation avec tranquillité.
Une petite garnison d'allemands occupent la ville. Nous voyons parfois quelques patrouilles.
La population est plutôt contre cette occupation étrangère. Les allemands sont appelés les « Boches » avec un accent de mépris. Les boches font ceci. Les boches font cela.
Je me souviens de quelques petites histoires.

Notre maison, rue Condorcet dans un quartier très tranquille, était exposée plein sud. Cependant la cuisine était plein nord donnant sur une chemin/impasse sans aucune fréquentation, le sol tout en herbe non fauchée.
Un jour, par hasard, je regarde par cette fenêtre au nord, Et là, l'Effroi Total. Dans mon innocence de petit garçon, je ne croyais pas la chose possible.
Un soldat allemand gradé, en arme, faisait ramper un autre soldat avec tout son équipement , tout le long du chemin, en guise de punition. Le puni trimait sang et eau. La souffrance se lisait sur son visage. Le gradé lui donnait quelques coups de pied.
Bref, j'étais pour la première fois en face de ce qui m'apparaissait être le Mal Absolu. Même pour moi qui faisait toujours des bêtises (du moins pour ce qu'en disaient mes parents à l'époque), quand on me punissait, on n'employait pas une technique aussi humiliante, brutale et cruelle. Quelle Horreur.
Ma mère qui découvrit la scène et ma frayeur m'envoya brutalement ailleurs. Défense de voir des choses sales.

Au fond de notre rue Condorcet, il y avait le « Champs à Bucher ».
Bucher était le nom du propriétaire. Des vaches y paissaient quelquefois.
Malgré les barbelés qui entouraient ce très grand champs, notre jeu consistait à investir le lieu, à courir partout et surtout à s'enfuir quand le père Bucher venait faire quelque police dans les lieux et faire semblant de nous courir après.
Or, voici que de temps en temps, une compagnie, un régiment allemand avec tout son matériel, son armement, ses véhicules faisait escale dans la ville et choisissait le Champs à Bucher comme lieu d'installation.
La rumeur se répandait chez les enfants. Les boches sont là. Sauve qui peut.
Et puis la curiosité l'emportait. On se rapprochait des barbelés. De loin, on était suffoqué de voir des canons, des véhicules de guerre perfectionnés. On regardait bouche bée. Quel beau spectacle.
Parfois, un soldat Boche s'approchait de nous, nous souriait, nous parlait.
Je me souviens de l'un d'entre eux, tout jeune, tout blond, autour de 20 ans. Il était gentil avec nous. Habillé de noir, il devait appartenir à une compagnie de SS. Il nous faisait admirer des insignes à tête de mort sur son uniforme. Ca nous plaisait beaucoup. On n'en avait jamais vu avant. Il nous avait sorti de son portefeuille la photo de sa fiancée, au pays. Il nous faisait comprendre que c'était sa chérie. Vu notre âge, on ne savait même pas ce qu'était une chérie. On le trouvait très gentil. On oubliait un instant que c'était un boche.

A la maison, notre famille était anti-Pétain dès le premier jour.
Mon père racontait plus tard qu'un jour, dans le milieu 1940, à la Radio anglaise, les responsables gaullistes avaient demandé à tous les sympathisants de la Résistance de se compter et de manifester en se réunissant à une certaine heure, par exemple midi, sur la place principale de chaque ville, de chaque village. A Thouars, il s'agissait de la Place Lavaux.
Mon père y était allé. Il y avait …......une dizaine de personnes.
Mon père en était revenu dégoûté. D'abord parce qu'il y avait si peu de monde et ensuite parce que c'était la meilleure façon pour l'ennemi d'établir des listes de suspects pour l'avenir.

La grande occupation du soir était d'écouter la BBC anglaise, cela pendant trois à quatre années. Surtout à partir du 22 juin 1941 qui marque l'attaque de l'Union Soviétique par les forces de l'Axe.
C'était un peu compliqué car l'affreuse petite musique du brouillage entrait en compétition avec la voix des journalistes. On tournait le bouton de réglage pour trouver la meilleure position possible de la fréquence de façon à minimiser le brouillage.
On entendait nos amis de Londres nous chanter le slogan : « Radio Paris ment. Radio Paris ment. Radio Paris est Allemand. »
A partir de l'été 1941, mon père étalait de grandes cartes de l'Europe sur la table, inscrivait des notes, des dates, installait des petits drapeaux (ou des punaises?) indiquant les dernières positions décrites à la radio pour les combats en Europe de l'Est et en Russie.
Pendant une année, je comprenais que les troupes allemandes avançaient toujours à l'Est. Personne ne pouvait les stopper. C'était désespérant. Les petits drapeaux se déplaçaient toujours plus loin vers la droite. Ca ne s'arrêterait donc jamais? On arriverait un jour à Vladivostok?
Le 17 juillet 1942, voici que les armées allemandes, aidées de quelques unités de pays amis de l'Axe comme l'Italie, la Hongrie, la Roumanie, arrivent à Stalingrad sur la Volga.
Mon père plante l'affreux drapeau croix gammée sur le nom de la cité.
Dans un premier temps, l'Allemagne s'empare petit à petit de la ville laquelle résiste rue après rue. Une bataille colossale.
Wikipédia nous livre ce tableau des forces en présence.

 
Reich Allemand
Union Soviétiqque
Hommes 250.000 180.000
Canons 7.500 7.900
Chars 740 360
Avions 600 200

Tiens, un changement sur les cartes de mon père : Les assaillants n'avancent plus au delà de la ville comme ils le faisaient depuis près de 2 ans. La ligne de front est relativement stabilisée.
Nous souffrons en silence avec la pauvre armée Russe qui se bat jusqu'à la mort. Nous la soutenons. Nous l'encourageons, tranquillement assis dans nos fauteuils. Six mois de combats. Le 19 novembre, grand changement.
Les soviétiques déclenchent l'opération Uranus. L'hiver a durement éprouvé l'armée allemande. Le niveau des forces en présence s'est totalement inversé.

  Reich allemand Union soviétique
Hommes 430.000 1.0134.000
Canons 3.000 13.450
Chars 757 894
Avions 817 1.115

l'armée allemande de Paulus perd la bataille et capitule le 2 février. 91.000 soldats, 2.500 officiers, 24 généraux se rendent à leur ennemi.
L'affrontement a été terriblement brutal : 8 mois de guerre. 750.000 combattants morts. 250.000 civils tués. La plus grande bataille de l'histoire du Monde.
Pour la première fois la ligne de Front recule. On déplace les petits drapeaux vers la gauche. Et cela va perdurer jusqu'à la fin de la guerre. Les petits drapeaux n'arriveront pas à Vladivostok. Peut être chez nous, oui.
Ca y est, on sait que la guerre est gagnée.

Pendant ces années noires, je me souviens de repas dramatiques à la maison.
Les parents ont l'air plus grave que d'habitude. De la détresse dans leur regard et dans leur paroles.
On les entend dire, presque à voix basse : « Il paraît qu'on a arrêté le fils Untel. On ne sait pas où il a été emmené ».
C'est un jeune d'une famille de la ville qui a sans doute été pris par la Gestapo où les milices pour complicité de Résistance. On sait qu'il ne reviendra jamais.
La journée se déroule dans un climat pesant de tristesse.
Et puis la vie reprend.

1944 arrive. Le Débarquement approche ou se réalise.
C'est la période des grands bombardements sur la France.
Dans notre petite ville, parfois, on entend des grondements étranges venus de loin, au nord. Les habitants sortent des maisons. On échange les informations. Oui, ce doit être les ponts sur la Loire à Saumur qui sont bombardés par les américains. Ca dure environ une heure. Saumur est à 30 Km.
Parfois les grondements viennent de plus loin, au nord-est, ou à l'ouest. Ce sont des bombardements sur Tours, ou bien sur La Rochelle.
Souvent, ça se passe à la tombée de la nuit. On voit des éclairs dans le ciel noir et la grande lueur rouge des incendies.
Une inquiétude se lit sur les visages: La solidarité avec les populations frappées. Et aussi la peur récurrente que ce sera bientôt notre tour.
En effet, l'activité économique principale de la ville est le « Dépôt ».
Rue Condorcet, presque tous les habitants-hommes sont des cheminots travaillant au Dépôt des Chemins de Fer.
C'est un lointain souvenir du temps où la ville se trouvait au milieu de la grande ligne ferroviaire Paris Bordeaux. Mais grandeur et décadence. La ligne a été déplacée et passe maintenant par Poitiers. Les Chemins de Fer français ont conservé à Thouars un important centre de réparation de locomotives.
Or, on sait que les bombardements américains s'attaquent dans notre région aux grands ports de l'Atlantique, ensuite aux ponts sur la Loire pour couper les communications et enfin aux gares et dépôts des Chemins de Fer importants de façon à contrecarrer les transports de troupes et de matériels ennemis.
Donc Thouars se trouve menacé.
Un espoir : Ce serait mieux d'avoir un attaque aérienne des Anglais qui ont la réputation de bombarder du plus bas possible afin d'atteindre davantage leur cible et d'épargner les populations civiles plutôt que les Américains qui lancent leurs bombes au plus haut pour échapper à la DCA allemande.
La rue Condorcet se trouve dans le quartier de la gare et du Dépôt.
Du coup, tous les occupants des maisons de notre rue construisent dans leur jardin une tranchée plus ou moins profonde et sophistiquée pour s'y réfugier en cas d'attaque. Mon père est complètement nul en travail manuel si bien qu'il est le seul à ne pas construire sa tranchée lui même et à faire faire le travail par un ouvrier.
Nous, les enfants, on s'amuse beaucoup à nous cacher dans les tranchées. On fait un espèce de concours avec classement de la meilleure tranchée: la plus profonde, la plus large, la plus belle. Un peu comme on fait maintenant un concours de la meilleure maison fleurie dans un village.
L'été du Débarquement arrive. Les menaces de gros bombardements deviennent plus pressantes.
Les habitants proches de la gare s'organisent.
Ainsi, notre famille décide de quitter provisoirement la maison et d'aller habiter à Doret dans une grande maison d'une famille amie, les Raub. Doret est une hameau à 3/4 km de la ville, au bord du Thouet et en pleine campagne. Ici, on ne risque rien.
Je suis très content car les Raub ont deux filles de mon âge, Marcelle et Jeannette, qui seront de précieuses compagnes de jeu.
Heureusement, la ville sera finalement épargnée du gros bombardement attendu et ne connaîtra que quelques attaques d'avions plus légers sans conséquence pour la population civile.

Un dernier souvenir de la guerre est celui lié aux achats de la vie normale.
On sait qu'à cette époque, il y a pénurie de presque tous les produits courants, à cause des énormes ponction des autorités allemandes : le beurre, le pain, la viande, le poisson, l'habillement, le savon …...etc. Pour tous ces articles et bien d'autres, les familles, en fonction du nombre de leurs membres, reçoivent mensuellement des « tickets » qui permettent d'aller faire les achats dans les magasins.
En dehors des allocations légales, on doit se livrer à la débrouillardise.
Ainsi, ma mère fabrique son savon. Il a la particularité de ne pas mousser ce qui est particulièrement détestable.
Elle détricote de vieux pull over. Elle me demande de tendre les bras pour retenir des monceaux de laines en écheveau afin de rebobiner ensuite.
On ne vend plus de chaussures à semelle de cuir. Les enfants, l'hiver, portent des galoches à la grosse semelle de bois. Mais voilà que j'ai la mauvaise habitude de jouer au foot avec tous les cailloux de la route en allant ou revenant de l'école. Un jour, vlan, je fends en deux ma semelle de bois. J'arrive penaud à la maison. J'ai cassé ma galoche. Je ne vous détaille pas la réception. Encore une bêtise!!!!!
A Thouars, nous sommes dans une région agricole très riche qui regorge de lait, de fromages, d'oeufs, de viandes. Il est très facile de se procurer tous ces produits à un prix pas beaucoup plus élevé que celui des produits légaux des tickets. C'est le marché noir mais à un bas de niveau de prix à la différence de ce qui se passe dans les grandes villes.
Du coup, le paysans deviennent les nouveaux riches de la société. On dit qu'ils accumulent énormément d'argent et le cache dans des …....... lessiveuses !!!!!!
Je me souviens aussi avoir vu ma mère faire un colis de produits alimentaires par semaine, adressé à ses cousins germains Georges et Annette qui habitent et travaillent à Colombes et Paris. Ca fait 52 colis par an. Non. Un peu moins. Car l'été, on part à Ax-les-Thermes où l'on retrouve d'ailleurs Georges et Annette et leur 3 filles, mes cousines Annie, Hélène et Catherine.
Un produit n'est pas rationné. Ce sont les huitres.
J'entends encore ma mère expliquer que les allemands ne les aiment et ne les mangent pas ce qui fait qu'elles sont en vente libre. Thouars se trouve à une centaine de km de l'océan. Dans la ville il y a une petite usine de fabrication de glace.
Pas de chance. Je n'aime pas les huitres. Ca me dégoute. Mon père est peu amateur. Ma mère, par contre, s'en régale chaque semaine ce qui est une certaine prouesse pour une native de la haute montagne des Pyrénées. Il n'y en avait pourtant pas pas dans la lac D'Orgeix!!!!
Il me faudra attendre le ........mess des officiers à Fréjus à l'âge de 25 ans pour en manger pour la première fois, pour devenir ensuite un amateur passionné de ce coquillage.