LETTRE A JOSPIN

(Sans réponse)

Toulon, le 17 juin 2002

Cher Lionel,

    Permettez-moi de vous assurer de ma sympathie voire de mon admiration.
Autour de moi, je diffuse ma vérité qui est la suivante :
La campagne électorale n'est certainement pas la cause de l'échec de la gauche. Somme toute, vous avez réalisé une bonne campagne. On n'en imagine pas une autre très différente.
    L'échec est plutôt dû au concept de la gauche plurielle qui était le fondement profond de la coalition de gauche depuis 1997. Pour beaucoup, et même pour moi, ce concept était apparu comme une bonne idée, une idée de tolérance, d'ouverture qui permettrait d'élargir les bases de la gauche, d'en enrichir les idées, les hommes ....etc.
      Aujourd'hui, il faut convenir que la «gauche plurielle» a causé le naufrage de la gauche tout court.
La multiplication des partis et des candidats de gauche a conduit à l'éparpillement que l'on sait. Chacun, pour son strict intérêt (souvent financier) de parti, a donc grappillé, qui des milliers, qui des centaines de milliers de voix. Les responsables en sont Mamère, Chevènement, Taubira, pourquoi pas Hue, sans compter les 3 "fascistes" de gauche (je veux parler des trotskistes).
Mais non, ce ne sont même pas eux les fautifs.
Les vrais responsables de la défaite de la gauche, ce sont les électeurs qui ont eu la stupidité de voter pour tous ces candidats «éparpillés».
        Bien sûr, on pourra me dire «Mais qui es-tu pour donner de telles leçons de morale aux autres ?» L'affaire se corsera et deviendra même scabreuse quand j'aurai avoué, sans qu'aucune nécessité ne l'impose, sinon un brin d'honnêteté et un zeste de provocation, que je fus moi-même abstentionniste.
   Il faut dire que mon cas est à part. Je suis affreusement individualiste. Je ne veux pas être un exemple. Et puis, en tant que retraité, j'ai tellement voté dans ma vie que j'en suis un peu fatigué.
En général, je vote pour la gauche et même pour le P.S., mais par le passé, j'ai dû, tout de même, avaler quelques mauvaises couleuvres, ce qui me rend moins enthousiaste aujourd'hui.
    La première amertume date de 1981, à propos d'une des premières mesures prise par Mitterrand, que nous avions tellement aidé à parvenir au pouvoir depuis des années.
Personne ne s'en rappelle. Tout le monde a oublié. N'y a-t-il que moi qui me suis scandalisé de la chose à l'époque ? Mitterrand s'était permis de faire voter l'augmentation du nombre de députés d'une cinquantaine de membres, façon de pouvoir caser les amis (ainsi que les ennemis). Comment justifier l'urgence et la priorité d'une telle mauvaise mesure ? Avait-on besoin de 50 députés supplémentaires ? Non. Ca commençait plutôt mal, question morale publique.
Mais la morale, vraiment, le François n'en avait pas grand chose à foutre faire.
    Bon, parlons de choses dites plus importantes.
En 1981, Mitterrand avait intégré dans son programme un projet très vaste de nationalisations, sans doute inéluctable à cause de la demande pressante du parti communiste. Certains semblaient ne pas savoir, comme c'est devenu plus notoire aujourd'hui, que le «parti des travailleurs» détenait, depuis un demi siècle, le monopole des recettes assurant à tout coup l'échec et la faillite économiques d'un pays.
Etant déjà à l'époque un socialiste de droite très social-démocrate, je me souviens de mon désaccord du moment sur ce problème des nationalisations.
Bon, il fallait bien accepter pour enfin réussir l'alternance. On n'allait pas laisser Peyrefitte nous gouverner jusqu'à l'an 2000. On ne pouvait être d'accord avec tout.
L'histoire m'a donné raison. Les nationalisations ont raté totalement. Le Conseil Constitutionnel en avait gonflé le coût, payé par le contribuable. Elles n'ont pas empêché le chômage de se développer à plus de 12%. Il a fallu repayer des impôts pour combler le trou du Crédit Lyonnais.
Tout le monde s'est mis à dénationaliser vingt ans plus tard dont vous-même. Si vous l'avez fait, c'est que ce devait être nécessaire.
Alors, quel gâchis en 1981 d'avoir réalisé ce chamboulement économique pour devoir le démolir par la suite ! Quelle erreur ! Quelle gabegie ! Quelle mal-gouvernance !
    Si je parle des nationalisations de 1981, mon cher Lionel, c'est que vous nous avez refait le coup en 1997, avec les 35 heures.
Voici encore une réforme miracle qui devait principalement résorber le chômage. Or, le taux de chômage est resté à 10%. Si des emplois ont été gagnés, nombreux sont et seront perdus par les délocalisations. Et dois-je citer le nom des grands pays européens qui ont un taux inférieur au notre et qui se sont bien gardés de réduire le temps de travail.
Alors est-il vraiment nécessaire de travailler moins que les autres ?
Pourquoi est-on le seul pays au monde à avoir décrété les 35 heures ?
Ah oui, c'est vrai, on est plus malin et plus intelligent que les autres, c'est bien connu.
Peut-être plus paresseux aussi.
Ceci dit, mon cher Lionel, l'instauration des 35 heures n'est pas tout à fait de votre faute.
Martine Aubry vous a un peu aidé, et alors, n'hésitons pas à dire que c'est justice et satisfaction que de la voir dans le malheur aujourd'hui.
Mais surtout, le vrai responsable, c'est l'électeur (une fois encore). Et là, on aborde un problème crucial de la gauche en France.
    En effet, pour arriver au pouvoir, la gauche doit se transformer en Père Noël. Elle doit faire des cadeaux. Elle doit faire 110 propositions. Elle doit tout nationaliser. Elle doit faire les 35 heures. On veut bien la porter au pouvoir mais à condition qu'elle promette la lune.
Du coup, cela lui complique sacrement la tâche. Il faut bien, ensuite, dans le monde concurrentiel de la mondialisation, se mesurer aux réalités économiques et aux champions de la concurrence. Et là, les autres ne nous font pas de cadeaux. C'est comme ça et on devrait le savoir.
Remarquons enfin que François Hollande vient de pendre la relève. Il promet déjà une valorisation du smic de 10%. Mais le coeur n'y est plus. Il aurait fallu promettre davantage. On y aurait même pas cru. Ce sera pour la prochaine fois.
    La droite, elle, a une chance inouïe. Elle accède à l'alternance sans rien promettre. Le pouvoir lui tombe tout cuit dans l'escarcelle. C'est vraiment trop injuste.
    Ceci dit, mon cher Lionel, j'ai regretté l'échec d'un des rares hommes honnêtes de notre système politique de la cinquième République.
En France, le plus souvent, nos grands dirigeants défendent avant tout leur intérêt personnel. L'essentiel de leur combat est d'essayer de rester en place (ou de gagner une place supérieure). Ils ne veulent pas partir. On n'arrive pas à les chasser.
Ainsi, ce fut le cas de Pompidou qui s'accrocha au pouvoir, même en phase terminale de cancer. Il devait être indispensable. Il le fut sans doute dans son cimetière.
Même chose pour Mitterand, lequel, par ailleurs, s'arrogea le droit d'intriguer et de mentir beaucoup. (mais avec quelle élégance). Il fut pourtant un bon président. Bon président mais sans scrupule ni moralité. La moralité doit rester l'apanage du citoyen, du peuple mais le souverain n'y est pas soumis.
Chirac ? N'en parlons même pas.
Pendant le même temps, deux à trois Premier-Ministres Anglais quittent volontairement le pouvoir en cours d'exercice. Idem pour un à deux chanceliers allemands. Quelle leçon de démocratie !!
En France, «ces gens là n'existent pas, Monsieur» comme dit la chanson.
Un dirigeant politique français, il faut l'abattre pour qu'il disparaisse de la scène politique.
    Et bien si, ça existe avec vous. Vous avez décidé de laisser la place.
Là, vous nous avez "soufflé"
. On est tenté de vous regretter.
Mais alors, si vous êtes plus honnête que bien d'autres, il ne faudrait pas partir. Il faudrait vous garder. Il faudrait vous retenir. Il faudrait que vous reveniez.
Ah, la vie est très compliquée. Cruel paradoxe.
     Car pour finir, il faut dire aussi que votre bilan gouvernement quinquennal est plutôt bon. Beaucoup le reconnaisse. Un travail sérieux, novateur, à peine un peu laxiste sur la Corse et la justice (O.K., on ne parle plus des 35 heures).
Maintenant, je souhaite bien du plaisir aux Raffarin-Chirac.
Voici quelques lignes que je viens d'inscrire dans la rubrique Politique-Actualité de mon confidentiel site familial sur Internet : servat.rene.free.fr
«Premières mesures prises par Raffarin :
1) Augmentation du tarif de la consultation médicale à 20 euros. Du coup, il va falloir augmenter les cotisations sociales.
2) Abrogation du décret limitant les dates d'ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs (Raffarin ne doit pas aimer les oiseaux)
3) Augmentation annoncée du salaire des ...ministres.
Ca promet»
Mon cher Lionel, je vous souhaite comme moi de bien profiter de votre temps libre. Je vous conseille entre autre de pratiquer le bridge comme moi. Ca détend. Encore que ....
Amitiés.

rené Servat

L'épreuve du temps.
Commentaires du 13 février 2008 :
Je n'avais bien sûr reçu aucune réponse de la part de l'intéressé, bien qu'ayant lu l'annonce dans la presse que depuis l'île de Ré, l'ancien Premier Ministre s'appliquait à répondre à toutes les lettres envoyées.

Aujourd'hui, je suis plus sévère qu'en 2002 à cause ..... des fameuses (fumeuses) 35 H.
On est toujours le SEUL pays du monde à appliquer ce régime démagogique absurde. Et personne n'est plus capable de le remettre en cause.
Dans le même temps, notre commerce est devenu lourdement déficitaire. Le chômage est toujours important. Les ouvriers (ères) chinois (et autres) qui travaillent 45 heures, sans smic, sans congés payés ...etc s'enrichissent avec une croissance annuelle de + 10%. Ils inondent notre marché de leurs produits. Nos usines ferment. Nos salariés perdent leur travail.
Presque chaque semaine, au journal télévisé, nous voyons, sur le terrain, des syndicalistes C.G.T., accompagnés de drapeaux rouges, se plaindre de la fermeture de leur établissement. Le méchant patron (un américain, un indien, un chinois ?) va délocaliser la production. C'est lui le coupable.
Pas une fois, on ne penserait à dire que peut-être que si Mr Jospin n'avait pas "fait" les 35 H .....
Dernière idée. Face à une telle mesure si préoccupante, dont on ignorait à l'avance si le résultat espéré (la baisse du chômage par la répartition du travail) serait au rendez-vous (il ne l'a pas été)
, n'aurait-on pas du appliquer le dernier argument à la mode : Le principe de PRECAUTION. Dans le doute, abstenons nous ou pratiquons des expériences réduites.