Drôle de semaine
India Kitch Dérision
l'insoutenable instabilité de l'être
Oh, Calcutta
Aie Maman

 

LUNDI


C'était un nouveau lundi.
Un lundi un peu spécial.
Qui venait après une semaine fantasque.

La personne qui nous préoccupe était un homme apparemment ordinaire.
L'homme s'appelait Paul.
"Paul Bond? ".
"Pardon?"
"Non, Paul Ropor."
Quel drôle de nom! A coucher dehors. A toucher avec des pincettes. Mais par quel bout?
C'était le matin. Dans la salle de bains.
Et bien, cette semaine commençait mal.
Etait-ce possible?
Ca l'était.
Quoi exactement?
En premier lieu, une chose toute simple, ou en tout cas qui le paraissait.
Paul venait de se regarder dans le miroir.
A priori, il n'y a pas lieu de s'alarmer pour une action si bénigne.
Des milliers de fois, Paul s'était regardé dans la glace.
Excès de narcissisme? Même pas.
Une action quotidienne. Notamment à cause de l'opération de rasage. Peu importe que ce fut avec le rasoir électrique Braun ou bien par un souci de plus grande efficacité voire de perfection avec le rasoir à lames multiples Gilette ou encore avec un coupe chou du siècle précédent.
Paul n'y prêtait plus garde
. Ca durait 4 minutes.
C'était d'ailleurs peut-être ça le drame. Il aurait du être plus vigilant. On ne se méfie jamais assez.
C'était un geste tellement répétitif qu'il n'y prêtait aucune attention.
Il ne se regardait même pas.
Ou bien, il ne savait pas qu'il se regardait.
Il se rappelait maintenant que pendant la dite opération, il ne voyait en réalité qu'un petit morceau de peau, qu'un coin de joue, qu'un dessous de nez, qu'un lobe d'oreille. Bref, seulement de petites parties kaléidoscopiques de son visage.
Et bien oui. Il fallait se rendre à l'évidence.
Il ne se regardait pas vraiment.
Et cela depuis des années.
Et bien, c'était une grave erreur.
Pourtant, c'est-ce qui arrive sans doute à tout le monde. Peut-être à vous. Non ?
Mais voici que tout avait changé ce matin là
Paul s'était longuement examiné dans le miroir.
"Mais bon sang, mais pourquoi?" dirait Maigret.
Comme ça. Par hasard. Pour rien.
On pourrait rechercher les causes de ce changement d'attitude. Mais est-ce vraiment urgent de le faire ? Il y a-il un intérêt à la chose ? On en doute très fort.
Et quelle était cette prétendue chose extraordinaire qui venait de se produire?
Paul n'arrivait pas à y croire. Nous non plus. Il refusait de la constater. Il lui était impossible de l'exprimer.
Il éprouvait une grande souffrance.
La situation était totalement bloquée.
Nous prenons donc nos responsabilités. Nous allons dévoiler l'affaire. Ca y est. C'est décidé. C'est presque fait. La décision est prise. Il n'y a plus qu'à l'écrire.
Et bien, ce matin là, en se regardant dans la glace, Paul ne s'était pas reconnu.
C'était comme s'il avait vu un visage étranger se refléter en face de lui.
Avouons que c'est étonnant, non? Comme dirait notre ami Desproges.
C'est même incroyable.

Peut-être n'était-ce pas lui dont l'image apparaissait. Mais alors qui était-ce? Comment expliquer qu'en se regardant, une autre personne prenait sa place et faisait irruption dans le miroir de la salle de bain. Comment était-ce possible ? Et qui était cet individu qui surgissait d'on ne sait d'où? Comment les propriétés du tain ou celles de tout autre élément du miroir pouvaient-elles s'être modifiées de façon à produire des effets que nul n'avait pu constater ou imaginer auparavant?
Jean Cocteau avait bien dit "Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de renvoyer les images", mais tout de même!
Bref, un mystère de la science? Une intervention du paranormal?
Ou alors, peut-être était-ce bien lui dont l'image était reflétée dans la glace, mais alors son physique était devenu totalement différent. L'hypothèse n'en était pas moins stupéfiante. Elle n'arrangeait en rien la situation sinon le contraire. Là encore de multiples questions surgissaient.
Pourquoi ne nous en étions pas aperçu avant ?
N'était-ce pas impossible?
Et pourquoi? Et comment?
Bref, une histoire invraisemblable.
Un truc inoui.
On ne sait plus comment en sortir.
Dans une option optimiste des choses, on pouvait dire qu'il y avait pire.
Par exemple, ce qui était arrivé au malheureux Grégoire Samsa. Vous vous rappelez?
Mais là, les choses étaient différentes. La transformation était autrement grave. Ca se passait à l'étranger. Toute une famille était mise en cause. Ainsi le père de Grégoire avait été tout de suite hostile. Sa mère le défendait de toute sa fibre maternelle. Sa soeur Grete, dans les premiers jours, faisait de même. Mais il faut bien dire qu'au fil du temps, Grete avait perdu patience. C'est à croire qu'elle avait abandonné l'idée que Grégoire put être son frère. Elle avait donc été très dure avec lui. Le Gérant, les locataires, les bonnes n'étaient pas plus compréhensifs. Bref, c'était terriblement pénible pour Grégoire.
De plus, il semblait que Grégoire, qui parlait au début de son aventure, avait ensuite perdu l'usage de la parole. Pour être plus précis, c'est lui-même qui avait décidé de se tenir coi pour ne pas désoler son entourage. Grossière erreur! Décision néfaste! Cet isolement ne pouvait qu'entraîner une issue fatale.
Heureusement, pour Paul, la situation ne présageait pas un sort si tragique.
Mais tout de même, quelle histoire ?
Une crédibilité nulle.
Une souffrance extrême.
Un doute diabolique.
Autant arrêter le récit tout de suite.
On arrête ? On continue un peu? Je crains votre jugement.
Tant pis. Je ne vous écoute pas. Je vais persévérer.
Comme ça . Pour voir la suite.